Une première évaluation scientifique des TNE
Une étude sur les deux départements pilotes des Territoires Numériques Éducatifs pointe les difficultés rencontrées et émet quelques recommandations pour la suite du dispositif.
Une étude récente réalisée par les unités de recherche Techné (Université de Poitiers) et Bonheurs (Cergy Paris Université) présente une synthèse des travaux d’évaluation scientifique sur la première année des TNE, les Territoires Numériques Éducatifs. Celle-ci se concentre donc sur les deux départements pilotes, l’Aisne et le Val d’Oise.
Lancé en septembre 2020, le dispositif des TNE vise à mieux former les enseignants au numérique, à réduire la fracture numérique entre élèves, et à permettre un accès facilité à des ressources pédagogiques de qualité. Cette expérimentation s’est élargie à de nouveaux départements, portant leur nombre à douze.
L’étude souligne notamment les lacunes et difficultés rencontrées dans le déploiement de ces dispositifs, en mettant l’accent sur la différence entre le discours politique et la réalité du terrain.
L’une des premières leçons de cette étude porte sur la réaction des enseignants face aux TNE. « Ils témoignent à la fois d’une forte adhésion aux principes fondateurs du programme et d’une désillusion quant à sa mise en œuvre. Distorsion souvent renforcée par des expériences antérieures où la réalité concrète concordait peu avec les promesses dont les programmes étaient porteurs », selon le rapport.
Sur la question de la formation, pilier essentiel des TNE, le rapport poursuit cette différence entre les préconisations officielles et les besoins ressentis par le corps éducatif. En guise d’exemple, les auteurs citent le cas de la robotique en classe. « Les enseignants positionnent “Robotique et programmation” au 10e rang sur 13 et le module est au 3e rang sur 10 dans Canotech ». À l’inverse, les enseignants placent la pédagogie différenciée au premier rang, alors qu’elle n’est que 7e chez Canotech.
L’enquête montre aussi que sur la question des compétences numériques et les usages pédagogiques du numérique, la plupart des enseignants se sont formés eux-mêmes. Allant à contre-courant du discours officiel, l’étude note que « plus de 70% des enseignants venant d’être titularisés ne considèrent pas leurs pairs comme une ressource de formation, et les pairs n’ont pas constitué une ressource pendant le confinement pour une grande partie de l’ensemble des répondants ».
Face à ces données remontées des deux départements pilotes, l’enquête pose la question de la formation des enseignants en termes nouveaux. « La question du développement professionnel des enseignantes et des enseignants dans le cadre du programme TNE ne peut se poser simplement sous l’angle du transfert de savoirs – même s’il est important d’y procéder – mais interroge la construction d’organisations apprenantes où les savoirs et les pratiques sont co-construites », estime le rapport.
Si les enseignants « expriment fortement leur attachement à la “liberté pédagogique”, ils subordonnent leur capacité à l’exercer efficacement et “en confiance” à l’existence d’un cadrage institutionnel précis qui articule l’expression des intentions de l’État (les finalités attribuées au recours au numérique, au-delà du discours général de modernité) avec des références robustes sur les modalités de mises en oeuvre (travaux scientifiques attestant l’efficacité des pratiques, guide de bonnes pratiques) ».
Un des principaux apports de l’enquête concerne la politique de ressources, point essentiel d’un dispositif où Canopé a une grande place. L’étude montre qu’une très large majorité des enseignants du premier degré utilise des ressources numériques (90 %), privilégiant majoritairement celles créées par des pairs.
« Pratiquement tous les enseignants utilisent des ressources numériques qu’ils proposent à leurs élèves (94%). Le plus souvent, elles sont créées par eux-mêmes (68%), proviennent de la communauté des enseignant.e.s (64%), de sites de partage académiques (61%) ou bien d’autres sites de partage de ressources gratuites (58%) », détaillent les chercheurs.
Du côté des ressources privées, seuls 29 % des enseignants indiquent qu’ils s’en servent, mais les ressources des opérateurs publics font encore pire : 19 % pour les ressources proposées par Réseau Canopé hors « Les fondamentaux » (59 %), 9 % pour Eduthèque, 2 % pour les ressources proposées par le CNED hors plate-forme de classe virtuelle.
Dans ses recommandations, le rapport suggère de « donner du temps aux acteurs de terrain (…) Les observations de terrain soulignent une forte tension entre la temporalité politique avec les discours qui la portent, et celle des réalités de terrain. Annoncer une date de déploiement dit peu lorsque l’on minore systématiquement les délais de mise en œuvre de chaque dimension ou étape du projet ».
« Non seulement, les annonces ne sont pas nécessairement performatives mais, mettre en concurrence le temps de la communication politique avec le temps requis pour la gestion efficace des projets, dégrade parfois la qualité des résultats obtenus et, de façon paradoxale, peut induire des retards supplémentaires ».
Le rapport invite à concevoir la première année du déploiement du dispositif comme une année d’élaboration du projet en co-construction en donnant la plus large place à la participation des enseignants et des parents.
Sur le volet formation, les recommandations portent notamment sur la nécessité de bâtir des communautés apprenantes, en leur donnant une reconnaissance institutionnelle, des apports de méthode (notamment en termes de conduite de projets), et de l’expertise (cadrage institutionnel, résultats scientifiques, bonnes pratiques).
Enfin, le rapport alerte sur le recadrage de la thématique de la continuité pédagogique, qui s’est dissipée depuis le relâchement face à la Covid-19. Au-delà de l’intégration du numérique en classe, les chercheurs rappellent l’importance de la mobilité numérique, pour faire face à des situations de fermetures des établissements scolaires.
« Il semble donc très urgent et important de réintégrer au dispositif TNE des mesures de préparation, que ce soit l’organisation de prêts de matériels (identification des familles en situation de fragilité numérique, organisation technique, juridique et logistique des prêts), l’accélération du déploiement et de la formation à l’usage d’ENT ou autres plateformes de services répondant aux besoins de la continuité pédagogique », concluent les auteurs.